1940, année noire pour la France : invasion de l’Allemagne là où on
ne l’attendait pas et exode des civils français vers le sud. Quelques
personnages principaux occupent l’avant-scène. Une jeune Parisienne est
mêlée à un scandale qui fait la une des journaux. Un tandem mal assorti
d’appelés – jeune professeur loyal et trafiquant talentueux – est
affecté sur la ligne Maginot. Un simulateur de génie se métamorphose
avec brio et un garde mobile s’adapte à la situation au gré des
affectations.
Voici le troisième et dernier volet d’une fresque couvrant les deux guerres mondiales (Couleurs de l’incendie,
NB mars 2018), dont le premier a reçu le prix Goncourt 2013. L’auteur
balaie d’une plume mordante ces années cataclysmiques, de la grande
illusion de la défense militaire française face à l’armée du Reich, à la
désinformation savamment orchestrée qui l’accompagne… et où notre
affabulateur jouera un rôle de premier plan. Puis, il devient plus
lyrique pour décrire avec un réalisme efficace l’exode des Parisiens. La
galerie de portraits vivants et contrastés séduit, les beaux sentiments
émeuvent, les magouilles et turpitudes amusent, l’intrigue bien ficelée
tient en haleine, même les quelques outrances ou invraisemblances
ajoutent du piment à l’ensemble. Belle mécanique, on en redemanderait !
(L.K. et C.G.)
Années 1950, à Brive. Rose, avec l’aide de son ancien groupe de
résistants, crée un journal destiné à concurrencer celui qui sert la
propagande du maire en place. Les fonds nécessaires proviennent du butin
d’un hold-up commis à la Libération, à l’encontre d’un banquier
collaborateur. Mais ses associés, machistes et arrivistes, évincent la
jeune femme qui se lance alors dans une enquête sur le passé de son
grand amour resté platonique, tué à la fin de la guerre.
Ce énième roman de Jean-Paul Malaval (La Souveraine en son domaine,
HdN novembre 2018) relate les années troubles de l’après-guerre :
exécutions sommaires de soi-disant collaborateurs, montée en puissance
de résistants de la dernière heure dans la vie politique et sociale,
renversements de fortune. Les personnages masculins sont cyniques,
manipulateurs, cupides et assoiffés d’honneurs. La jeune femme au
caractère bien trempé, courageuse, réaliste et intelligente, reste
curieusement fleur bleue dans sa vie sentimentale. Beaucoup de
longueurs, de scènes répétitives et un dénouement inattendu, peu
crédible. (B.D. et M.S.-A.)
Et toujours les forêts - Sandrine Collette
Abandonné par sa mère chez Augustine, sa grand-mère, Corentin étudie
dans une grande ville quand le monde implose. Alors descendu dans des
catacombes, il est épargné. Dehors tout n’est que cendres et puanteur.
Au terme d’un épuisant voyage, accompagné d’un chiot aveugle, il
retrouve dans les Forêts la vieille Augustine et Mathilde, fille d’une
voisine. Quelques vivres intacts dans les bourgs permettent de subsister
momentanément. Mais terre et eaux sont polluées et stériles. Et demain
?…
Sandrine Collette (Animal, NB mai 2019) imagine une fin du
monde, peut-être provoquée par le réchauffement climatique. Mais peu
importe que l’hypothèse soit crédible. Les phrases courtes, dans une
langue familière et haletante, évoquent puissamment un univers vide,
sans vie ; sans animaux, sans plantes ni arbres, sans soleil ni
couleurs, dont le silence étreint les rares survivants, fous de
solitude. Une lueur d’espoir et un instinct de survie poussent le jeune
homme mal-aimé à désirer des enfants, symboles de renaissance. Cependant
certains survivants, tenaillés par le froid et la faim, deviennent des
bêtes sauvages. Sur un sujet qui n’est pas nouveau, un hymne à la beauté
d’une planète menacée qui verse parfois dans un excès de bons
sentiments et laisse sceptique. (L.G. et A.Be.)
Pour le sourire de Lenny - Dany RoussonDeux SDF arrivent à Aigues-Mortes et font la connaissance de Pacôme,
photographe amateur à ses heures mais également saunier dans les marais
salants des environs. Ce dernier propose de les héberger et les aide à
trouver un petit emploi. La jolie Garance tient une boutique de
restauration de jouets anciens et aperçoit souvent Savate qui observe sa
vitrine. Gaëlle, caissière dans une épicerie, élève seule son fils
Lenny qui s’échappe de temps en temps pour retrouver Savate dont il
s’est fait un ami. Mais bientôt un drame… Une nouvelle fois Dany
Roussin situe son roman dans la France profonde (L’été retrouvé, HdN
août 2018) où les gens vivent à un rythme paisible, ont des relations
plutôt harmonieuses entre eux sauf lorsqu’ils sont dérangés dans leur
façon de penser. Elle nous livre quelques aperçus des courses de
taureaux de la région. Le récit cousu de bons sentiments dans un style
ponctué de nombreux dialogues se déroule de façon prévisible. Rien de
très original mais ce roman se lit aisément. (E.Ca. et E.G.)

Journal d'un amour perdu - Eric-Emmanuel Schmitt
Sa mère est morte il y a deux ans. C’est seulement maintenant que
l’auteur (Félix et la source invisible, NB avril 2019) écrit ce roman
autobiographique. Il ne comprend pas comment il n’a rien perçu ce
jour-là. Il se remémore les voyages avec elle, les interminables
conversations téléphoniques, leur présence au Festival d’Avignon. Il est
effondré, mais son éditeur le presse pour son dernier manuscrit, La
vengeance du pardon (NB octobre 2017) ; il est impossible d’annuler la
tournée de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran ; sa belle-fille,
atteinte de mucoviscidose, doit interrompre sa grossesse pour être
opérée ; sa vieille chienne Fouki meurt… Alors peu à peu la vie reprend
le dessus : il crée Madame Pylinska et le secret de Chopin (NB juin
2018) et enfin, avec l’argent hérité, il achète un piano qui incarnera
pour toujours sa mère. Ce livre est un témoignage émouvant sur l’amour
fusionnel entre une mère exceptionnelle et son fils et l’acceptation de
l’absence, sentie d’abord comme impensable. (B.D. et B.T.)
Le Bruit de la soie - Sonia Velton
Débarquée à Londres d’une campagne sans avenir, la jeune Sara est
contrainte de se prostituer. Dans les années 1750, les tisseurs de soie
font la réputation d’un quartier de la grande ville. Esther, pieuse
huguenote et femme d’un maître tisseur, émue du sort de Sara, en fait sa
femme de chambre. Complicité, duplicité, trahisons et réconciliations
ponctuent leurs relations tandis que grondent les révoltes des ouvriers
groupés en associations de défense et que Sara, fille-mère, doit
abandonner son bébé dans un horrible orphelinat. Mais… Ces deux voix
de femmes construisent, en courts chapitres alternés, une fresque
vivante et documentée de la vie anglaise au XVIIIe siècle. L’auteure
oppose les classes sociales privilégiées et puissantes aux misérables
populations qui subissent leurs injustices, évoquées dans un procès
retentissant qui fait haleter le lecteur. Le métier de tisseur de soie,
la créativité de sa production, à laquelle une femme n’est pas
étrangère, ses techniques, son négoce dessinent un panorama éclairant de
cette profession ébranlée par la concurrence avec les nouvelles
cotonnades indiennes importées. Ce premier roman, qui entrelace amours
interdites, rédemption et quotidien londonien, divertit et soutient sans
faiblir l’intérêt. (A.C. et M.S.-A.)
Johannesburg - Fiona Melrose
Le 6 décembre 2013, Gin, qui est revenue de New York où elle vit depuis
plus de vingt ans, se prépare à organiser une fête à Johannesbourg pour
les quatre-vingts ans de sa mère. Le même jour, à l’annonce de la mort
de Mandela, une foule bigarrée converge vers sa résidence située à
quelques rues de là. Dans une ambiance électrique, Gin plonge dans le
passé douloureux qu’elle avait voulu fuir. Fiona Melrose, qui vit entre
le Royaume-Uni et l’Afrique du Sud, décrit dans ce deuxième roman
(Midwinter, NB avril 2018) une ville qu’elle connaît bien. Son écriture
très suggestive évoque la chaleur suffocante, le vacarme des rues,
l’insécurité permanente, les inégalités sociales et la violence de
l’apartheid, mais aussi la beauté des paysages, des jardins luxuriants
et des compositions florales. La voix donnée à chacun des personnages
restitue la complexité des caractères, les multiples interactions entre
les uns et les autres, les hésitations et les non-dits dans un
va-et-vient permanent entre le présent et les ombres du passé. Ce roman
polyphonique porte l’immense espoir de liberté de tous ceux qui sont
brimés par la ségrégation sociale ou étouffés par les contraintes d’une
société arrogante, bloquée dans sa suffisance. (A.-M.G. et C.-M.T.)
Victime 2117 - Jussi Adler-Olsen Série Les Enquêtes du Département V - Tome 8
Le journal en parle comme de la "victime 2117" : une réfugiée qui, comme
les deux mille cent seize autres qui l'ont précédée cette année, a péri
en Méditerranée dans sa tentative désespérée de rejoindre l'Europe.
Mais pour Assad, qui oeuvre dans l'ombre du Département V de Copenhague
depuis dix ans, cette mort est loin d'être anonyme. Elle le relie à son
passé et fait resurgir de douloureux souvenirs.
Il est temps pour
lui d'en finir avec les secrets et de révéler à Carl Morck et à son
équipe d'où il vient et qui il est. Au risque d'entraîner le Département
V dans l'oeil du cyclone. Qui est Assad ? Victime 2117 est la réponse.
Cette enquête est son histoire.
Sonate pour Haya - Luize Valente
En 1999, Amaliá, jeune Portugaise d’origine allemande, découvre
fortuitement un secret de famille qui la rapproche de son
arrière-grand-mère dont les révélations et une partition musicale dédiée
à une inconnue, Haya, interrogent sur le comportement énigmatique de
son fils pendant la seconde Guerre Mondiale. Faits historiques avérés,
persécutions nazies antisémites relient les destins exceptionnels
d’Amaliá et d’Adèle, mère d’Haya ; ils vont se croiser et s’éclairer à
Rio de Janeiro. À la première personne, Amaliá raconte sa jeunesse
berlinoise pendant la guerre, puis sa vie d’adulte en quête de vérité.
En parallèle, l’auteure relate le quotidien tragique d’Adèle, jeune
Juive déportée en 1944 à Auschwitz, sauvée avec Haya par la grâce
rédemptrice d’un inconnu inoubliable. Une généalogie permet, malgré
l’enchevêtrement des événements, de suivre chaque personnage dont la
place, le parcours bien déterminé, l’identité et le rôle précis dans la
construction du récit tiennent le lecteur en haleine. Rigueur de la
réalité historique, maîtrise et psychologie affinée des comportements
humains, sentiments sans mièvrerie malgré le romanesque du récit qui
évite le mélodrame de situations extrêmes, font la réussite de ce
premier roman qui mêle avec habileté horreur, amour et Histoire. (A.C.
et B.T.)