Le Vrai Michaël Swann - Bryan ReardonJulia, Michael et leurs enfants vivent dans une banlieue aisée du
Delaware, entourés d’amis. Michael est souvent absent. Il appelle sa
femme un soir d’une gare de New York. Quelques minutes après, un
communiqué annonce un attentat terroriste meurtrier. Julia, bouleversée,
n’arrive pas à joindre son mari. Plus tard, sur l’écran de télévision
apparaît le visage du principal suspect : Michael. Julia est convaincue
de son innocence. Bryan Reardon dépeint le caractère de chacun des
principaux intervenants avec justesse. Le suspect, en état de choc,
devenu amnésique, vit dans un monde irréel. L’héroïne, admirable de
courage, protège ses enfants et se sent pousser des ailes pour défendre
son mari. Elle défie les médias omniprésents autour de la maison et la
police qui, aidée du FBI, recherche activement le présumé coupable.
L’intrigue est entrecoupée de réminiscences du passé et les chapitres en
alternance, de plus en plus courts au fur et à mesure de cette course à
la vérité, décrivent l’état d’esprit de chacun des deux époux.
Débouchant sur une fin inattendue, cet ouvrage ménage le suspense et se
lit sans déplaisir malgré des analyses psychologiques redondantes et
quelques leçons de morale. (C.M. et M.S.-A.)

Le Rêve de l'Okapi - Mariana LekyDans la campagne allemande, un village en émoi : Selma a rêvé d’un
okapi, c’est le signe que quelqu’un va mourir dans les 24 heures. Vérité
ou superstition, tout le monde se prépare à son dernier instant. Luise,
la petite-fille de Selma, observe les comportements de son entourage :
son père pris d’une envie de voyage, sa mère qui passe son temps avec
Alberto le glacier, l’opticien amoureux en secret de Selma, Martin, son
ami pour la vie, le chien Alaska… La mort va frapper là où on ne
l’attendait pas. Ce sera dur. Mais le temps apprend à vivre avec les
chagrins. Luise, la narratrice, porte un regard d’enfant sur
l’existence. Elle a 10 ans mais garde en grandissant ce regard singulier
et charmant. On se laisse porter par l’écriture inventive qui fait
exister des êtres attachants et décalés se débattant avec leurs secrets
ou leurs fantasmes. Les petites choses de la vie se mêlent aux grandes.
Et l’on comprend que vivre c’est apprivoiser l’amour et la mort. Ce
roman le démontre avec une infinie délicatesse teintée d’humour. On s’y
plonge avec délice et une fois le livre refermé, on quitte à regret ses
personnages. (F.E. et C.B.)

Dégels - Julia Phillips Deux soeurs de huit et onze ans sont enlevées dans la capitale du
Kamtchatka, péninsule située en Extrême-Orient russe. Une femme a vu
l’enlèvement et a pu fournir un vague signalement de l’homme et de sa
voiture. Bien qu’elle se raréfie au cours des mois, l’émotion nourrit
les conversations et vient perturber la vie d’une dizaine de femmes :
mère, amies, voisines, témoin, policières… Julia Philips a vécu deux
ans au Kamtchatka avant d’écrire son premier roman. L’histoire qui suit
le premier chapitre en révèle plus sur cette province que sur le mystère
de l’enlèvement : la nostalgie de l’URSS « d’avant », le racisme des
Russes « blancs », la misogynie latente, la corruption, la violence
faite aux femmes et la force du mot « destin » dans l’âme russe. Le
récit avance mois par mois comme onze nouvelles traversées par un même
fil : des portraits de femmes admirables ayant un rapport avec «
l’affaire ». De son écriture puissante et sophistiquée, Julia Phillips
offre un roman littéraire et sociologique, construit comme un thriller,
dont la fin laisse abasourdi. Avec Dégels, le cercle des écrivains
s’agrandit. (C.Go. et M.-F.C.)

Les Petits de décembre - Kaouther Adimi
Alger, Février 2016. Trois enfants, Inès, Jamyl et Mahdi, jouent au foot
sur le terrain vague de la cité du 11 Décembre 1960, mémoire des
manifestations indépendantistes. Le temps a passé, mais l’opposition au
pouvoir des chefs reste vivace. Mohamed et Chérif, retraités de l’armée,
déplorent cet état de fait après avoir dû y obéir. De loin, ils
observent les conciliabules des enfants. Se doutent-ils que la colère
gronde depuis que deux généraux ont prétendu être propriétaires de ce
lieu réservé aux jeux de ballon ? Kaouther Adimi parle à nouveau avec
amour de son pays (Nos richesses, NB octobre 2017). Elle admire le
courage des femmes, plébiscite une jeunesse éprise de liberté et
revendique avec elle l’abolition de la dictature militaire. Grâce au
journal d’une moudjahida, elle retrace l’Algérie, de la colonisation à
l’indépendance, les partisans des traditions affrontant les tenants de
l’ouverture, l’islamisme opposé à l’émancipation des femmes, à
l’avènement de la démocratie. Trois générations finement analysées, des
portraits ciselés par une écriture limpide mêlant émotion et références
historiques : que d’atouts pour ce roman vivant, bien construit. Une
belle réussite ! (M.-A.B. et J.D.)

Un Pur - Isabelle DesesquellesJumeaux, Benjamin et Julien sont flanqués d’une mère fantasque qui leur
témoigne un amour immodéré. Ils ont huit ans lorsqu’en villégiature à
Venise un prédateur a choisi en Benjamin sa proie. Trente ans plus tard,
au procès qui se tient, ce dernier raconte l’enfance abusée, les cinq
années de calvaire, ses compulsions à répéter l’abus, mais garde pour
Julien son aveu le plus intime. Après l’émouvant Je voudrais que la
nuit me prenne (NB novembre 2018), Isabelle Desesquelles va plus loin
dans un livre magnétique et troublant dont on sort ébranlé. Dans un
exercice délicat, avec pour seul rempart la finesse de son écriture,
elle aborde le viol, l’emprise du ravisseur jouant sur la peur et la
culpabilité, ses « bontés » dans lesquelles l’enfant puise le courage
d’affronter ce qui suit, ses rituels maniaques. Adulte, les traces sont
significatives. Fantasmes et pulsions le hantent et le lecteur est tendu
vers un basculement toujours possible. Gémellité et vie volée du jumeau
dont la mère ne voit en lui que le frère absent constituent l’épilogue.
Pourquoi le garçon n’a-t-il pas fui ? Le mystère n’est levé qu‘en fin
de récit, une chute à couper un souffle suspendu depuis longtemps déjà…
Magistral ! (Maje et S.D.)

Soif - Amélie Nothomb
Jésus vient d’être arrêté et assiste, désarmé, à son procès. Les
miraculés, au lieu de le soutenir, l’accablent. Ponce Pilate lui accorde
une ultime nuit avant la cruelle et infamante crucifixion. Face à la
mort, le Christ ne cache pas sa peur de la souffrance puis raconte
chaque étape de son épouvantable calvaire, soutenu par l’amour de
Marie-Madeleine et de sa mère. Amélie Nothomb (Les prénoms épicènes,
NB novembre 2018) propose un nouvel Évangile en rapportant le monologue
intérieur d’un Christ soucieux de « corriger » les récits des Apôtres.
Jésus se veut pleinement humain et célèbre en épicurien tous les
plaisirs des sens que permet l’incarnation. Il ne recule pas devant le
blasphème et remet en question certains dogmes, comme la Rédemption. Ce
Christ humaniste et amoureux rejette avec force le culte du martyre et
se désole de savoir que la postérité vénérera un sacrifice que rien ne
justifie. Ce roman très inspiré exalte la figure d’un Christ
bienveillant et humble mais aussi iconoclaste. L’auteure propose une
définition séduisante de la foi, en filant la métaphore de la Soif, à
une époque où le mysticisme se confond parfois avec le fanatisme. (A.K.
et A.-M.D.)

La Fiancée de la guerre - Gilles LaporteLa promesse d'un fils à son père adoptif, héros méconnu de la guerre :
revenir dans le village natal de celui-ci, retrouver sa famille
lorraine, renouer les liens avec elle. Lui dire, peut-être, toute la
vérité ?
Un roman qui évoque la nécessité d'une quête filiale et la force du
souvenir.
" S'il m'arrive quelque chose, tu iras leur dire combien je les aimais. "
A tous, Adolphe Lamesch a laissé un vide immense.
C'est sur ses
traces que cinquante ans plus tard Robert Forester part à
Châtel-sur-Moselle pour rencontrer les membres de sa famille et leur
porter les mots de celui qui accompagna son enfance en Angleterre. Telle
une promesse, à la mémoire du jeune Lorrain engagé parmi les premiers
dans le sillage du général de Gaulle, disparu en mer à bord du
torpilleur des Forces navales françaises libres La Combattante en 1945.
Pour sa mère Berthe, l'espoir de revoir son fils vivant n'avait jamais
vacillé. Elle laissait toujours sa porte ouverte, au cas où...
Parce qu'elle détenait dans ses lettres le secret d'Adolphe. Un secret
troublant, plein de vie et de résilience.
Qu'elles étaient deux à partager...
Un roman bouleversant qui rend hommage à un héros discret de la Seconde
Guerre mondiale, et dans lequel s'impriment la force du souvenir et le
courage des femmes.

La Fille qui devait mourir - David Lagercrantz
Série Millénium Tome 6
À Stockholm, un mendiant est retrouvé mort dans un parc, certains doigts
et orteils amputés de longue date. Le médecin légiste trouve cette mort
suspecte et contacte Mikael Blomkvist, reporter au journal Millénium,
dont le numéro de téléphone figure dans la poche du cadavre. De son
côté, Lisbeth Salander, hacker de génie et amie de Blomkvist, sait que
l’affrontement final avec sa soeur Camilla, proche des services secrets
russes, arrive. Une seule d’entre elles survivra… Dans cet ultime
épisode de la saga Millénium, David Lagercrantz (La fille qui rendait
coup pour coup (Millénium ; 5), HdN octobre 2017) met en scène les héros
créés par Stieg Larsson avec toutes leurs contradictions et
imperfections. Recherche de scoops, scandales politiques, agents
doubles, intrigues alambiquées émaillent son récit, mais le plus
important se cache dans le passé traumatisant des deux soeurs. Le style
est haché, les phrases courtes et le rythme soutenu. Le trop grand
nombre de personnages, certains très falots, déstabilise et seule une
lecture attentive permet de s’y retrouver. Quelques situations sont
invraisemblables, mais les sentiments contradictoires sont bien rendus.
Un dernier roman compliqué, à l’image des deux ouvrages qui l’ont
précédé. (D.M.-D. et S.L.)

Dans les yeux d'Ana - Christian LaborieAna, quarante et un ans, meurt dans un accident de voiture. Sa fille
Sarah, qu’elle a eue à dix-sept ans en 1945, ne sait rien du passé de sa
mère ni du mystère de sa naissance. Sa vie paisible et bourgeoise à
Lausanne bascule quand elle apprend, par le courrier d’un notaire
français, qu’elle devient légataire universelle d’une inconnue. Elle
part dans les Cévennes, prend possession d’une maison de village et y
découvre, dans une cave qui a servi de cachette à sa mère Ana, son
journal qui s’arrête brutalement en 1944. Christian Laborie (L’enfant
rebelle, NB novembre 2015) emmène son lecteur de Genève jusque dans les
Cévennes, sa terre de prédilection. De nombreux livres ont déjà relaté
cette période particulièrement tourmentée, la persécution des Juifs par
les nazis, leur déportation, l’occupation allemande de la France, la
collaboration, la Résistance. Ici, il s’agit du tragique destin d’une
famille de Juifs polonais pourchassés de pays en pays. On est ému par la
simplicité du récit, le courage et l’amour de la vie de la jeune
héroïne. La vision assez juste de la France de l’époque ne tombe pas
dans le manichéisme, lâcheté et générosité coexistent. (C.M. et M.S.-A.)

Au loup - Lisa Ballantyne
Londres. Angela va avoir treize ans. La jolie petite fille est devenue
une adolescente ingrate, boulotte, mal dans sa peau, agressive et
ingérable. Après une tentative de suicide, elle accuse son professeur de
théâtre d’agression sexuelle. C’est le début d’un engrenage infernal
pour Nick, acteur de série devenu enseignant, marié et père de famille
modèle. Au loup (le titre anglais que l’on peut traduire par « petite
menteuse » est plus explicite) est le troisième ouvrage de Lisa
Ballantyne (Le piège de la mémoire, HdN février 2016). Dans ce thriller
classique, au style enlevé, les chapitres alternent, reprenant les
conséquences d’une dénonciation sur chacun des protagonistes, dévoilant
peu à peu leur part d’ombre. La psychologie des deux familles
confrontées au traumatisme de la violence sexuelle sur mineure est
décrite de façon crédible. Les rebondissements de l’enquête – le lecteur
ne sera pas déçu – sont autant d’occasions de stigmatiser l’impact des
procédures judiciaires largement diffusées par les médias, aussitôt
relayées par les réseaux sociaux : peu importe la culpabilité ou
l’innocence, loin de la sérénité qui s’impose dans ces affaires si
sensibles de pédophilie. La société se montre avide d’exemplarité, mais à
quel prix ? (A.-C.C.-M. et M.-C.A.)

Nous étions nés pour être heureux - Lionel DuroyPaul écrit depuis trente ans des romans sur le désastre familial que fut
son enfance. Ses neuf frères et soeurs ont pour la plupart rompu avec
lui, honteux de voir leur histoire révélée au grand jour, et ses quatre
enfants ne connaissent ni leurs oncles et tantes, ni leurs cousins
germains ; et voici que la fratrie entreprend de s’excuser auprès de lui
de ce long rejet. Heureux, Paul les invite à déjeuner dans sa maison
champêtre… La journée de fête est orchestrée par Paul, qui revient sur
son passé à la lumière du présent. Après Le Chagrin (NB juillet 2010),
Colères (NB juin 2011), Vertiges (NB novembre 2013), Eugenia (NB mai
2018), l’auteur dissèque encore son histoire dont l’écriture l’a sauvé
de la dépression : elle est sa vie. Les personnages sont profondément
humains, partagés entre une vieille affection et une certaine forme de
rejet dont ils arrivent à parler ensemble et qu’ils apprivoisent. Les
petits-enfants, certains souvenirs, la simplicité de la vie rustique
enchantent cette journée de retrouvailles d’où, grâce à l’affection,
peur et colère semblent exorcisées et Paul se surprend lui-même dans son
acceptation de l’altérité. Une sage tendresse habite ce livre. (E.B. et
C.-M.T.)